Excavatrice - deuxième partie

Développement et évolution de la pelle mécanique
Deuxième partie ; ça pousse, l’excavatrice hydraulique

Premières tentatives
L’idée d’utiliser un fluide hydraulique comme vecteur de force n’est pas nouvelle. Vers la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, les premières excavatrices hydrauliques virent le jour. Ces machines utilisaient de l’eau comme fluide et leurs performances furent plutôt décevantes. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les excavatrices hydrauliques firent véritablement leur apparition. Les systèmes hydrauliques utilisaient dès lors de l’huile et se perfectionnèrent rapidement. D’allure curieuse et parfois d’une fiabilité discutable, les premières pelles hydrauliques évoluèrent rapidement. Ce fut une révolution : l’excavatrice à câble, qui était l’outil par excellence depuis plus de cent ans pour creuser, extraire et charger, allait devenir désuète en moins de vingt ans…

Les pionniers
Plusieurs inventeurs ont expérimenté avec la force hydraulique durant les années 1940. Un entrepreneur de Cleveland aux États-Unis, Ray Ferwerda, conçut une excavatrice à flèche télescopique dont le godet pouvait imiter le mouvement d’une main humaine. Il baptisa son invention le Gradall et la fit breveter en 1944. Il en vendit les droits à Warner & Swasey en 1946. Le Gradall est toujours fabriqué en 2018.


L'excavatrice Gradall originale de 1944, montée sur un camion semi-chenillé Linn de 1929.Warner & Swasey, consciente de la valeur historique de la machine, la racheta d'un ferrailleur en 1964. Elle fut ainsi préservée, même si elle n'était plus fonctionnelle. L'excavatrice est en cours de restauration depuis 2004.

Le Gradall est toujours produit au vingt-et-unième siècle. Les aspects visuel et fonctionnel de la machine n'ont pas changé. Notez la commande auxiliaire du camion à partir de la tourelle. 

La firme Koehring, déterminée à faire compétition au Gradall, développa le Teleskoop. Ici, un modèle T-744 de 1982.

À Turin en Italie, les frères Carlo et Mario Bruneri construisirent un prototype de pelle hydraulique sur roues en 1948. D’autres prototypes suivirent et ils appelèrent finalement leur machine la Yumbo en 1950. Ils en cédèrent les droits à la Société Industrielle de Construction d'Appareils Mécanique* (SICAM), société française, en 1954. SICAM fabriqua différents modèles de Yumbo et à partir des années 1960, conclut des partenariats avec Drott aux États-Unis, TUSA en Espagne, Mitsubishi au Japon et Priestman au Royaume-Uni.

La première création des frères Bruneri, sorte d'hybride entre une chargeuse et une excavatrice.

Une excavatrice Yumbo H25 automotrice de 1960 commercialisée par SICAM.

L’entreprise française Poclain, établie dans la commune de Plessis-Belleville et dirigée par Georges Bataille, assembla une pelle hydraulique, la TU, en 1951. La lecture d’un magazine américain traitant des premières utilisations de vérins hydrauliques aurait inspiré Georges Bataille à employer cette technologie sur une pelle mécanique. Sa première ébauche était montée sur un châssis remorqué par un tracteur agricole. La pompe hydraulique de l’excavatrice était entrainée par la prise de force du tracteur. Sur les versions subséquentes, le client pouvait choisir entre une machine tractée, montée sur un camion (parfois fournit par le client) ou montée sur un châssis automoteur. L’offre de Poclain évolua au fil des ans et atteignit des proportions gigantesques en 1970 avec la EC1000, alors la plus grosse excavatrice hydraulique jamais construite. Poclain fut finalement racheté par le constructeur américain Case.

Une des premières pelles Poclain TU, montée sur remorque et fonctionnant avec la prise de force du tracteur.

Poclain TU en cours de restauration. Il s'agit ici d'une version plus récente, possédant son propre moteur et montée sur un camion GMC CCKW vétéran de l'armée américaine.


Ajoutée au catalogue en 1961, l'excavatrice TY45 de Poclain fut un succès commercial avec plus de 15 000 exemplaires vendus.

La firme allemande Demag, qui assemblait des pelles à câble depuis 1925, commercialisa la première excavatrice chenillée capable de rotation sur 360 degrés et entièrement hydraulique en 1954, le modèle B504. Demag développa toute une gamme d’excavatrices et battit le record de la plus grosse excavatrice en 1978 avec la H-241. Demag a cédé sa gamme d’excavatrice à Komatsu en 1997.

La B504 de Demag ressemble beaucoup aux machines modernes. Notez l'absence de conduites flexibles : que des tuyaux rigides munis de raccords pivotants aux articulations. Une innovation qui ne sera pas reproduite...

L’excavatrice hydraulique s’impose
La pelle hydraulique possède plusieurs avantages face à la pelle à câble : elle coûte moins cher à fabriquer, elle peut utiliser sa force dans tous ses mouvements alors que la pelle à câble utilise la gravité pour une portion de son cycle de chargement, et finalement, en remplaçant son godet par d’autres outils, l’excavatrice hydraulique peut faire infiniment plus que creuser.


Cette vidéo nous donne un aperçu de la panoplie d'outils disponibles pour les excavatrices modernes.

Dès 1960, le style flèche-bras-godet de la pelle Yumbo est perfectionné et largement adopté. Les excavatrices hydrauliques se développent et gagnent rapidement en taille durant cette décennie. Plusieurs nouveaux fabricants de pelles hydrauliques jouent du coude, espérant obtenir une part de ce marché en pleine expansion.

En 1970, la EC1000 de Poclain, avec un poids de 160 tonnes, était la plus grosse excavatrice hydraulique. Sa piètre fiabilité fit très mal à l'entreprise.

En 1978, c'était la Demag H-241 qui détenait le record, avec un poids de 262 tonnes.

Certains manufacturiers de pelles à câble se lancèrent eux aussi dans la fabrication d’excavatrices hydrauliques. Certains conservèrent la transmission mécanique comme moyen de locomotion : la puissance étant transmise aux chenilles par un arbre de transmission reliant la tourelle avec le châssis inférieur en traversant la table tournante et contrôlée en utilisant des embrayages à griffes. D’autres fabricants tenteront de concevoir des machines hybrides, alliant la force d’une pelle à câble avec la manœuvrabilité d’une pelle hydraulique. Ces tentatives furent généralement infructueuses.

Cette Skooper 505 fabriquée par Koehring est un bel exemple de machine hybride. Les premières versions utilisaient un treuil mécanique, vestige des pelles à câble, pour le levage de la flèche et un vérin hydraulique pour le cavage du godet. Celle-ci est entièrement hydraulique.

C’est durant cette même période que les fabricants japonais débutèrent leur conquête de l’excavatrice hydraulique. Ils conclurent d’abord des partenariats avec des firmes occidentales déjà bien établies dans l’assemblage de pelles hydrauliques. Ils apprirent ainsi comment fabriquer et commercialiser ce genre de machine. Ils rompirent ensuite ces ententes et fabriquèrent des excavatrices de leur propre conception. Les manufacturiers japonais profitèrent de la faible valeur du yen pour exporter leurs machines partout dans le monde. Lorsque les coûts de transport, le taux de change des devises et les frais d’importation rendirent l’exportation des excavatrices japonaises difficile, les entreprises nipponnes ouvrirent des usines d’assemblage à l’étranger. Au début des années 2000, environ quatre-vingt pourcent des excavatrices hydrauliques de moins de cinquante tonnes étaient de conception japonaise. Les machines de taille supérieure demeurant une spécialité allemande.

Les variantes
La pelle chenillée est sans contredit la mouture la plus répandue. Sa stabilité et sa facilité à se mouvoir sur des sols meubles y sont pour quelque chose. La flexibilité des systèmes hydrauliques rend l’excavatrice facilement adaptable à toute sorte de besoins.

Cette pelle Liebherr R942 possède une flèche et un bras à très longue portée, qui conviennent parfaitement au dragage des canaux d'irrigation.

L'excavatrice sur roues
L’excavatrice sur roues faisait partie du paysage dès les années 1940. Elle excelle dans les travaux publics urbains où elle peut se déplacer facilement sur la route pour de courts trajets. Le temps requis pour déployer les stabilisateurs (lorsqu’elle en est équipée) et sa mobilité réduite lorsqu’elle est confinée à des secteurs exigus ou des sols très meubles rendent l’excavatrice sur roues moins productive que l’excavatrice chenillée.

Une excavatrice Hopto montée sur un camion Duplex. Celle-ci a l'avantage de pouvoir se déplacer rapidement d'un site à l'autre mais sa mobilité demeure limitée sur les chantiers. La firme Badger Machine Company développa une excavatrice remorquée par un tracteur, l'HOPTO, pour Hydraulically Operated Power Take-Off, dans les années 1940. Badger fut acquise par Warner & Swasey en 1957.
  
Cette excavatrice Case 1085B est une descendante directe de la Drott Cruz-Air 45. Sur ces machines, le moteur est monté sur le châssis inférieur.

Cette pelle JCB JS145W est une machine des plus polyvalentes. Notez le godet rotatif multi-fonctions avec grappins.

Cette Liebherr A904 railroute ramasse les traverses comme s'il s'agissait de cure-dents. Notez la flèche en deux parties.

La miniexcavatrice
Richard Smalley, un inventeur du Lincolnshire en Angleterre, conçut et fabriqua une miniexcavatrice marcheuse d’une tonne en 1962. Elle possédait deux roues et utilisait la force de la flèche et du bras comme béquille pour se déplacer sur le chantier. Quatre stabilisateurs la maintenaient de niveau durant l’opération. Un timon permettait de la remorquer avec une camionnette. Ainsi, nul besoin d’un fardier ou d’un véhicule dédié pour la transporter d’un chantier à l’autre.

Cette Smalley 360 est d'une étonnante simplicité. Son coût abordable en fit une machine populaire.

C’est au Japon, au début des années 1970, que les premières miniexcavatrices chenillées virent le jour. On qualifie de miniexcavatrice les machines de cinq tonnes et moins. Elles sont généralement équipées d’une lame niveleuse et d’un pivot à la base de la flèche qui permet de creuser le long d’un mur tout en gardant la flèche parallèle à la tranchée.

Cette Komatsu PC18MR2 est une miniexcavatrice typique. Notez les chenilles en caoutchouc. 

Les machines de moins d'une tonne font partie des microexcavatrices. Cette Kobelco SS1 en est une digne représentante.
 
La pelle araignée
Ernst Menzi, un inventeur suisse, poussa le concept de l’excavatrice marcheuse encore plus loin et développa la pelle araignée en 1971. Il ajouta des pattes d’appui hydrauliques au châssis supportant la tourelle, ce qui permet à l’excavatrice de se mouvoir et de travailler sur des terrains très accidentés, voir à flanc de montagne.

Le contrôle indépendant des pattes de cette Menzi Muck A91 permet de garder la machine de niveau, peu importe le dénivelé du terrain.

La pelle de démolition
Sa construction robuste et la possibilité d'utiliser sa grande force dans tous ses mouvements font de l'excavatrice hydraulique une machine de démolition particulièrement efficace. Ajoutez à cela l’utilisation d’un pouce avec le godet, d’un marteau hydraulique, de pinces ou de cisailles et plus rien ne lui résistera... Certains manufacturiers ont même développé des machines munis de flèches et de bras à très grande portée pour la démolition d’immeubles en hauteur.

La grande portée de cette Caterpillar 349E permet de démolir des immeubles de plusieurs étages tout en gardant une distance de travail sécuritaire. Notez la cabine inclinable, permettant à l'opérateur de suivre l'outil des yeux sans se casser le cou.

Les cisailles sur cette Caterpillar 345C coupent des poutres d'acier comme si elles étaient faites en carton.

Cette Hitachi ASTACO est équipée de deux flèches. L'opération d'un tel engin doit être particulièrement complexe.

La pelle tunnellière
L’excavatrice hydraulique a maintenant une place sous terre. Des machines spécialement adaptées pour le travail en tunnel font maintenant partie de l’arsenal de l’entrepreneur. Ces machines possèdent des gabarits réduits et sont capables d'atteindre des zones qui sont hors de portée pour une excavatrice conventionnelle.

Cette Case CX210 fut modifiée par Soerma TP et dotée d'une flèche rotative pour nettoyer les cuves d'une aciérie.

Cette Liebherr R924 possède une flèche et un bras à gabarit réduits conçus pour travailler dans des endroits exigus ainsi qu'une tourelle avec un faible rayon de braquage.


Les engins manutentionnaires
Même si les engins de manutention ne font pas d'excavation, leur parenté avec les excavatrices est évidente. Ces machines sont généralement équipées de flèches et de bras à grande portée et leur cabine est surélevée pour faciliter le travail de l'opérateur. La plupart des manufacturiers les offrent aussi en version électrique pour les applications industrielles. Elles peuvent utiliser une multitude d'outils : grappins, électroaimants et bennes preneuses, pour ne nommer que ceux-ci.

Cette Caterpillar MH3049 est munie de roues anticrevaisons. Notez la cabine élévatrice, donnant une meilleure vue à l'opérateur.

Certaines machines sont conçues pour les applications portuaires, comme cette Sennebogen 870E. Notez le cou, sous la tourelle, élevant celle-ci jusqu'au pont des navires.


Les engins manutentionnaires sont aussi populaires auprès de l'industrie forestière. Ici, une Sennebogen 830 équipée d'une remorque à billots.

Variante intéressante, montée sur une pelle Caterpillar 336F : le bras traditionnel a été remplacé par un bras télescopique, augmentant de façon significative la portée de l'engin.

L'excavatrice flottante
Après avoir conquis la terre, l'excavatrice hydraulique se tourne maintenant vers la mer. Que ce soit pour le dragage des chenaux, des canaux d'irrigation ou pour la gestion des embâcles, il existe plusieurs champs d'application pour une excavatrice loin de la terre ferme. Certains manufacturiers fabriquent des sous-châssis amphibies qu'ils installent ensuite sous une excavatrice standard ou montent la tourelle sur une barge alors que d'autres fabriquent une embarcation renforcée sur laquelle ils installent un ensemble flèche-bras-godet.

L'entreprise hollandaise Waterking fabrique des châssis amphibies pour des excavatrices conventionnelles. Ici, une excavatrice Caterpillar 324D équipée de flotteurs et de poteaux d'ancrage.

Excavatrice flottante Amphibex AE400 à l'oeuvre brisant les embâcles sur la Rivière Rouge au Manitoba, Canada.

Cette Conver C550 est un véritable croisement entre une miniexcavatrice et un bateau.

Excavatrice Komatsu PC3000 montée sur une barge.


Revoyez la première partie de cette article :
Développement et évolution de la pelle mécanique
Première partie ; ça tire, l’excavatrice à câble


Bibliographie
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ORLEMANN, Eric C. Power Shovels. Osceola, Motorbooks International, 2003, 160 pages.

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* Malgré mes recherches, je n'ai pu trouver de source fiable quant à la signification du sigle SICAM. Si quelqu'un peut m'éclairer sur le sujet, je l'invite à me contacter.




Dernière mise à jour : 9 août 2020

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